TW, tumulte wagnérien : si ce texte évolutif et écrit à plusieurs mains comporte des éléments pouvant perturber le cours des choses, c’est tout simplement que nous en avons assez que le cours des choses soit perturbé par la culture du silence.
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Nous sommes des femmes, des hommes et des personnes non binaires, des parents de, des enfants de, des frères et sœurs et adelphes de. Nous sommes des personnes queers, des allié·e·s, des militant·e·s, des citoyen·ne·s; nous sommes des humain·e·s d’origines et d’horizons divers·e·s. Nous sommes des artistes, des interprètes, des artisan·e·s, des multi·s, des administrateur·rice·s, des spectateur·rice·s, des débrouillard·e·s, des bricoleur·euse·s, des praticien·ne·s et des amateur·rice·s des arts vivants en général et du théâtre en particulier; nous sommes des résilient·e·s. Nous sommes des victimes, des témoins, des invisibles, des impuissant·e·s, des aphones, des survivant·e·s; nous sommes des battant·e·s.
Aujourd’hui, nous unissons nos voix pour témoigner d’un système qui, de par ses mœurs et traditions — des plus concrètes aux plus insouciantes et insidieuses — contribue aux violences, aux iniquités et aux diverses oppressions. Ce système surfe avec légèreté et inconscience sur les individus qui lui permettent de subsister, comme si les vagues de dénonciations des dernières années ne l'avaient jamais atteint. Et pourtant… En maintenant la Loi du Silence sur ces sujets qui la composent, ce système continue de creuser un fossé qui avale trop de perles.
Et pour les faire briller, ces perles, nous appelons la lumière de tous nos vœux. Même s’il est vrai que la colère nous habite, nous croyons la lumière plus fertile que la noirceur. Ce n’est donc pas pour attiser la haine que nous avons uni nos voix et nos plumes, mais pour affirmer l’urgence de reconnaître — individuellement et collectivement — le système toxique dans lequel s’inscrit notre pratique théâtrale. Pour le présent et le futur de notre art, il est fondamental de saisir que nous sommes toustes concerné·e·s. Nous rêvons donc d’engagement individuel et collectif afin de permettre à notre communauté de se développer sans hypothéquer davantage la santé physique, mentale et financière de celleux qui la tiennent à bout de bras.
Oui, il (nous) faudra de l’humilité, du respect tous azimuts et de la transparence. Oui, il (nous) faudra des sueurs (froides) et des aisselles parfumées, de l’écoute active et de la cohérence. Oui, il (nous) faudra constamment rallumer la lumière, tel·le·s des allumeur·euse·s de réverbères tenaces. Mais la lumière n’est plus une option, c’est une nécessité. Nous n’avons plus les moyens d’avaler autant de perles.
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Nous ne sommes plus en 2018.
Donc ceci n’est pas un SLĀV-prise 2.
Ni en 2020, donc ceci n’est pas un #VictimsVoices.
Ceci existe en soi, ICI et MAINTENANT.
Here and now.
Aquí y ahora.
此时此地.
Hier und jetzt.
Isit la e kounye a.
هنا و الآن.
כאן ועכשיו.
Qui e ora.
Aqui e agora.
Тут і зараз.
ICI et MAINTENANT, comme en ce dimanche 15 octobre 2023, à Tiohtià:ke, Mooniyang, Montréal.
En cette fin de « rentrée culturelle », celle-là même qui fait en sorte que la ville est tapissée d’affiches d’institutions et/ou d’artistes qui, malgré iels, refont vivre à certaines personnes des traumas physiques, psychologiques, financiers…
D’ailleurs, nous offrons nos salutations les plus respectueuses et profondes aux pionnières de #EtMaintenant, lancé en 2018.
Nous ne sommes plus en 2018 ni en 2020, et si la société québécoise est rendue ailleurs, on se demande encore parfois si elle est toujours aussi distincte qu’elle voudrait le croire. Mais ça, c’est une autre histoire.
Cette lettre n’est que PAROLE.
Et non « paroles et paroles », comme chanteraient Dalida et Delon.
LA parole, parce que nous toustes, qui faisons partie du « milieu » théâtral, ou l’aimons assez pour s’en préoccuper… Nous toustes, donc, croyons que la parole guérit.
Celle de la fiction comme celle de la vraie vie, de la vie vraie. Qu’elle soit thérapeutique, dramaturgique, démuselée, sourde ou même hurlée.
La parole est aussi vitale que l’air et l’eau. Elle est fleuve indomptable et forêt luxuriante. La parole est aussi vitale que la culture, si tant est qu’on lui laisse une place digne de ce nom, à notre culture. Mais ça aussi, c’est une autre histoire.
Nous ne venons pas vers vous, médias comme citoyen·ne·s, artistes comme militant·e·s, dans l’idée de « canceller » qui ce soit, sinon la culture du silence ci-haut nommée. Et il se peut même, car ne jouons pas à l’autruche, que certaines personnes qui signe(ro)nt cette lettre aient eu par le passé des comportements ou gestes problématiques, répréhensibles, désobligeants, discriminatoires, etc., etc., etc.!
Mais nous ne demandons pas ici à chacun·e, comme tous les partis politiques de ce monde, de sortir les squelettes de leur placard; car encore faut-il avoir la maturité émotionnelle et la décence de reconnaître ses torts. Et ce n’est pas donné à tout le monde, dans ce Québec qui n’a pas encore compris que la santé mentale devrait être prise en charge par l’assurance-maladie.
Ceci n’est pas une chasse aux sorcières. Ceci n’est pas une édition d’Échos Vedettes, ni un #Spotted, ni un #Voices. Rien contre ces différents canaux de communication. Mais la voix, les voix, ne sont pas LA parole. La parole appartient à chacun·e, et c’est ce qui la rend légalement si insaisissable…
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Nous en avons marre que des personnalités toxiques et/ou problématiques tiennent encore le haut de l’affiche en 2023-2024, comme si la vie ne s’était pas arrêtée, elle, pour leur(s) victime(s), et ce, même si lesdites personnes ont le droit à la réhabilitation.
Qu’il s’agisse de violence verbale ou psychologique, sexuelle ou misogyne, raciste ou capacitiste, grossophobe ou queer, l’omerta a assez duré.
Il faut voir comment la société, y compris « l’industrie » culturelle, a traité l’affaire Maripier Morin comme un duel à finir, une foire d’empoigne où la plus belle ou la plus fine l’emporterait. Que des artistes, des directions de casting, des bailleurs de fond et des maisons de production aient endossé le retour de Morin dans la deuxième saison de la série La faille (quel titre, tout de même!) puis son embauche dans le film Arlette, dans lequel elle défendait le rôle-titre de la ministre de la Culture (sic), en dit long sur la Loi du Silence qui pèse dans notre « beau milieu » où il faut se taire pour avancer, pour travailler, pour même espérer rêver d’une place au soleil (entendre ici rêver de quelques sous ou de quelques miettes créatives). Nous ne sommes pas ici pour juger du talent de Morin, ni même de son désir de briller à nouveau. La réhabilitation devrait être un « service essentiel »; mais la notoriété ne l’est pas et ne le sera jamais.
Pourquoi accorder autant de mots dans cette lettre à cette affaire qui n’a « rien à voir » avec le milieu des arts vivants? Parce qu’aussi névralgique soit-elle, elle a été pour plusieurs « l’arbre qui a caché la forêt ». Idem pour tout ce débat de sables mouvants sur la question du tribunal populaire. Nous étions en juillet 2020, dans un entre deux-vagues, et ces « arbres encombrants » se sont multipliés, en amont ou en aval des marées : Rozon, Lacroix puis Bond dans le milieu de l’humour; Salvail, Morin, Wiseman puis Jasmin Roy dans le milieu télévisuel; Dutoit, Lapointe, Dare To Care, Parent, Perreau, Adamus, Nevsky et autres Butler dans le milieu musical; Brûlé dans le milieu littéraire, et d’autres personnes dénoncées en vase clos; Hockey Canada, pour le milieu sportif; Weinstein, pour le cinéma hollywoodien…, bien avant que les documentaristes québécoises tournent La parfaite victime et Je vous salue salope. Sans compter les milieux de la politique, de la restauration, du tatouage…
Que faudra-t-il pour ébranler les colonnes du temple, des temples?
« Le mouvement #MeToo secoue le théâtre français », titrait Le Devoir le 19 octobre 2021. Et par français, nous n’entendons pas ici francophone, mais plutôt l’Hexagone!
Alors qu’en est-il du milieu théâtral québécois?
Serait-ce que le milieu de la parole s’est tu tout ce temps? Bien sûr que non. Mais il a d’abord pris le parti du faux safe space qu’est Facebook, à l’été 2020, sur une page privée « réunissant 1571 membres, et qui se décrit comme un groupe de soutien pour les gens de théâtre souhaitant témoigner d’inconduites subies dans le milieu artistique », dixit le Journal de Montréal. Le tout s’est tristement soldé par la fuite d’informations sous embargo, des captures d’écran envoyées aux personnes dénoncées, des mises en demeure, des dérapages humains et professionnels, jusqu’à cette poursuite de 100 000$ opposant ironiquement deux femmes, alors que la grande majorité des dénonciations anonymes sur cette page visait des hommes.
QUE FAIRE, ALORS?
Nous avons décidé de réactiver la parole de la façon la plus constructive et positive possible. Nous n’en appelons pas à la cancel culture, à la culture de l’effacement ou de l'annulation.
Nous en appelons au dialogue, à la médiation citoyenne, à la justice réparatrice, à la programmation équitable et à la diffusion responsable, à l’assainissement de notre milieu de vie et de notre écosystème théâtral québécois.
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C’est pourquoi nous nommons ici quelques cas de figure génériques qui, bien qu’inspirés par certaines réalités individuelles, nous semblent incarner plusieurs freins à la parole qui existent et persistent sur scène et en coulisses :
Ce sont ces jeunes finissants aux mains baladeuses à qui l’on donne une deuxième chance, parce qu’après tout, leur carrière ne fait que commencer, tel des joueurs de football dont on ne veut pas ruiner l’avenir;
Ce sont ces « anciens artistes problématiques » qui enseignent dans les écoles de théâtre et qui, d’emblée, se dédouanent à leurs élèves en disant qu’ils ont cheminé; pourquoi en douter?;
Ce sont ces « artistes pédagogues » qui, en gardant un profil bas, prennent quelques mois de congé pour mieux revenir enseigner ensuite, soutenus par leur syndicat;
Ce sont ces autres metteurs en scènes « pédagogues » (sic) qui rebondissent dans les messages privés de leurs étudiant·e·s à deux heures du matin, en parlant de tout sauf du spectacle qui les unit;
C’est cette école de théâtre qui, elle aussi bâillonnée par une entente contractuelle, offre le choix à ses élèves de travailler avec une femme OU alors avec cet homme problématique. Bien sûr qu’ils ont « le choix », le OU existe;
Ce sont ces artistes qui s’entredéchirent dans l’intimité du couple, de la chambre à coucher, de la vie privée, mais est-ce que ça devrait concerner leurs employeurs, si ça ne se rend pas en cour?;
Ce sont ces directions artistiques féministes ou allié·e·s qui ne semblent pas comprendre que leur dévouement envers notre milieu pourrait aisément servir ailleurs qu’au poste de pouvoir qu’iels occupent depuis trop longtemps;
Ce sont ces directions générales qui sont prises avec ces contrats d’une autre époque où aucune politique de prévention contre le harcèlement n’était placée en annexe;
Ce sont ces fameuses politiques qui n’apparaissent souvent nulle part sur les sites web des institutions et compagnies théâtrales, ou encore entre leurs murs;
Ce sont ces conseils d’administration pour qui cette même politique de prévention est une patate chaude intergalactique; ces mêmes C.A. qui pourraient être poursuivis s’il y a bris de contrat avec un·e artiste dit·e problématique;
Ce sont toutes ces personnes en position de pouvoir qui ne comprennent pas l’essence et l’étymologie du mot consentement, « cum-sentire (sentir avec) », donc des notions d’accord et de dialogue;
Ce sont ces coordonnatrices d’intimité qu’on tourne en ridicule, parce qu’à quoi bon chorégraphier le désir et la sexualité, « ça vient tout seul, depuis la nuit des temps », non?
Ce sont ces metteuses en scène ou conceptrices-collaboratrices qui sont obligées de travailler avec des personnes problématiques, parce que le contrat est déjà signé et qu’après tout, s’il n’y a pas eu d’accusation officielle devant les tribunaux, à quoi bon rouspéter?;
Ce sont ces traducteurs et/ou adaptateurs que l’on embauche encore, parce qu’après tout, leur talent n’empêche personne d’autre de travailler, « ils évoluent dans l’ombre »;
Ce sont ces spectacles que l’on annule par acquis de conscience, mais que l’on reprogramme à peine quelques mois plus tard;
Ce sont ces artistes de la diversité que l’on objectifie, à l’école comme à la ville, en coulisses comme sous les draps;
Ce sont ces artistes de la neurodiversité que l’on n’inclut pas dans les équipes de création, parce qu’iels sont trop difficiles « à gérer »;
Ce sont ces artistes queers à qui l’on reproche de manquer d’humour : « ben voyons, c’est pas supposé être drôle, une drag!? »; ces mêmes artistes queers que l’on agresse, à échelle variable, parce que le monde de la communauté LGBTQIA2SP+ aime le sexe, c’est bien connu; ce sont tristement ces mêmes artistes queers qui profitent de leur statut unique en son genre pour toucher l’Autre sans son consentement;
Ce sont ces artistes en situation de handicap qui se meurent en silence, dans leur coin, parce qu’iels se disent que le quota est atteint : on engage déjà trop d’handicapés du coeur;
Ce sont ces artistes autochtones à qui l’on impose, même sans s’en rendre compte, encore et toujours, une violence coloniale;
Ce sont ces artistes de la diversité corporelle qu’on se félicite d’engager, même et surtout parce qu’on ne les désire pas;
Ce sont ces victimes de gaslighting, dans leur noyau de couple, leur cellule artistique ou leur cercle d’artistes associé·e·s, et qui, forcément, finissent par douter d’iels-mêmes;
Ce sont ces victimes de grooming, dans les ligues d’improvisation des bars, des universités et autres cafés-théâtres; cette improvisation théâtrale qui est, rappelons-le, une « invention québécoise » ™, qui pave souvent la voie à moult carrières sur les planches;
Ce sont ces artistes aîné·e·s, qui ont bâti le milieu théâtral, que l’on n’appelle plus parce qu’iels ne font plus vendre, ne sont plus assez sexy;
Ce sont ces initiatives destinées à la relève et/ou aux nouvelles voix, dont cette formule des 5 à 7 qui veille à développer de « nouveaux publics », mais dont les dés semblent souvent pipés;
Ce sont ces artistes « des régions » que l’on n’engage jamais, parce que c’est « ben qu’trop compliqué, voyons »; comme si l’Art n’existait qu’à Montréal, et à Québec si on a de la chance; ce sont ces spectacles hors-Montréal que les théâtres de la métropole programment en se pinçant le nez s’ils ont une subvention spéciale pour le faire, ou en se croisant les doigts, de peur de perdre la face devant leur public si jamais « c’est pas bon »;
Ce sont ces conceptrices qui portent le poids de la parole, parce que leurs collègues considèrent qu’elles parlent trop haut, trop fort, trop souvent, et qu’elles devraient taire leurs principes, au nom du boulot et de la solidarité théâtrale;
Ce sont ces comédiennes québécoises, prises au piège d’une double programmation parisienne, la leur et surtout celle, dans le même théâtre et au même moment, d’un chanteur déchu de son noir désir;
Ce sont ces artisan·e·s chevronné·e·s qui, dès que les rumeurs commencent à enfler, multiplient les entrevues préventives à heure de grande écoute et sur les chaînes d’information continue, pour expliquer que nous ne faisons pas un « métier comme les autres »;
Ce sont tous ces producteurs privés qui nous radotent que les individus et les artistes sont la raison même de leur mission, mais qui continuent encore et toujours de mettre leur profit en haut de leur liste de priorités, nous prouvant à nouveau qu’ils sont des incompétents du coeur;
Ce sont toustes ces camarades qui, parce qu’iels ont osé parler dans le safe space du groupe Facebook privé ci-haut nommé, ont été un peu, beaucoup peinturé·e·s dans le coin;
C’est l’une des initiatrices de ce mouvement qui est parvenue, contre vents et marées, à ne pas être mise à l’index, parce qu’elle manie l’art du verbe et surtout la résilience du cœur.
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C’est pourquoi ce collectif-ci est d’emblée anonyme et intersectionnel. Et que nous n’accorderons pas d’entrevues à brève échéance, car nous voulons que la société civile et le milieu théâtral se concentrent sur le message et non sur celleux qui le portent.
Nous n’avons rien contre aucune des personnes sous-jacentes à ces histoires évoquées. Nous en avons contre un système qui non seulement encourage le silence, mais plus encore, l’érige en symphonie.
À l’intersection de nos vies et de nos pratiques, de nos démarches et de nos disciplines, il y a d’abord celle de nos identités plurielles et de nos soifs de création, de nos blessures passées et de nos joies présentes, de notre espoir que le milieu des arts vivants prenne à bras-le-corps le vocable existentiel de son nom pour rouvrir la discussion, ne plus protéger l’impossible et croire en l’avenir.
Et surtout, oui, surtout, libérer la parole.
Profondément. Simplement. Naturellement.
Même s’il faut pour cela créer, malgré nous, envers et contre tout, une nouvelle vague.
#icietmaintenant #unenouvellevague #hereandnow #aquiyahora
#此时此地 #hierundjetzt #isitlaekounyea #quieora #aquieagora #тутізараз #כאן ועכשיו# هناو الآن
- Dimanche le 14 octobre 2023
- Version revue et corrigée le jeudi 19 octobre 2023
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